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  • Article publié le 1er décembre 2020
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Ce qu’il faut faire pour que l’ENA ne crée plus une caste déconnectée I Tribune

Comment redonner un souffle aux écoles en leur permettant de s’extirper d’une forme de pensée unique qui a fait allégeance aux dogmes budgétaires en bradant le sens de l’État ?

Emmanuel Macron a annoncé avec fracas la suppression de l’ENA et Frédéric Thiriez s’est vu confier la mission de rédiger d’ici fin novembre un rapport sur la haute fonction publique incluant également l’INET et l’EHESP. Le projet de loi de transformation de la fonction publique en débat au parlement prévoit de redéfinir par ordonnance le champ de la haute fonction publique, notamment sur la formation. Loin d’assurer une culture commune du service public et de l’intérêt général, ce big bang annoncé laisse présager une dérégulation tous azimuts de l’encadrement supérieur, une remise en cause des principes fondateurs du statut de la fonction publique ouvrant un boulevard aux pratiques clientélistes, voire une instrumentalisation de la haute fonction publique au service des intérêts privés.

Il relève de l’incantation de croire que c’est d’une perméabilité accrue entre les secteurs public et privé, fondée sur l’idée qu’il faudrait (mal) gérer les administrations comme des entreprises, que viendrait le renouveau d’une fonction publique plus moderne. Cette vision ne peut conduire qu’à une plus grande volatilité des talents, à une concentration hiérarchique et opaque des pouvoirs décisionnels, et à plus de dépendance de la fonction publique à l’égard du pouvoir politique en place.

Quelle place sera laissée aux fonctionnaires formés dans ces écoles alors que la loi entend ouvrir les possibilités de recrutements contractuels dérogatoires, marginalisant de fait le statut ? À quoi cela servira-t-il de redéfinir rigoureusement des règles assurant plus de diversité sociale, plus de proximité des cadres fonctionnaires avec le terrain ou de réaffirmer la méritocratie quand il devient possible de contourner les principes par des recrutements à la discrétion du pouvoir politique ?

La haute fonction publique aurait-elle oublié ses principes fondateurs ? L’exigence d’expertise et de compétences de haut niveau au service de la Nation, la capacité de prendre des décisions administratives guidées par l’intérêt général et non par les aléas de la vie politique, l’attachement aux valeurs de la République et notamment l’exigence de probité sont plus que jamais d’actualité.

Comment redonner un souffle aux écoles en leur permettant de s’extirper d’une forme de pensée unique qui a fait allégeance aux dogmes budgétaires en bradant le sens de l’État ? Les écoles de la haute fonction publique doivent cesser de singer les “business school” en multipliant les immersions en entreprise et doivent au contraire chercher à s’ancrer dans le réel des administrations et des administré·e·s.

Il importe de réaffirmer la place des écoles en tant qu’écoles d’application, assises sur une culture commune du service public et de réaffirmer les spécificités par versant qui nécessitent des cursus distincts. Cela suppose de redonner aux écoles les moyens de fonctionner et ne pas chercher à les fusionner pour remédier au déficit structurel de financements que l’État a lui-même organisé.

Les écoles ne doivent pas être des machines à classer mais des lieux de formation dédiés. Cela suppose de modifier les conditions d’accès aux “grands” corps et de remettre en cause la hiérarchie entre les différents corps.

Une réforme pertinente passe par le renforcement des garanties des fonctionnaires. L’harmonisation par le haut des statuts particuliers sur la base de grilles indiciaires resserrées et de régimes indemnitaires limités est le moyen d’assurer plus d’attractivité mais aussi plus de mobilité à l’occasion d’un parcours professionnel choisi adossé à une formation continue qui permet le retour régulier en école.

Les écoles formant à la haute fonction publique ne pourront se départir de l’image de “caste administrative” que si elles permettent une plus grande diversité des profils de recrutement. Les fonctionnaires doivent être le reflet de la société qu’ils concourent à administrer. La diversité ne se décrète pas mais passe par des actions concrètes comme le développement de préparations externes et internes partout sur le territoire pour contrebalancer la prépondérance des voies de recrutement actuelles, par des voies d’accès ouvertes au tiers secteur, soit à tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire (associatifs, travailleurs sociaux, syndicalistes…) qui contribuent eux aussi à l’intérêt général.

La réforme de la fonction publique pose la question du sens de l’intervention publique et des besoins nouveaux de service public au XXIème siècle. Cette question n’a pas été mise en débat à l’occasion de la réforme de la fonction publique. Or la haute fonction publique ne peut faire sens pour ses agents et pour la population que si elle offre une perspective de progrès social.

Jan Martin
Magistrat, membre du Conseil d’administration de l’ENA

Richard Gurz
Directeur d’hôpital et représentant au Conseil d’administration de l’école des hautes études en santé publique (EHESP)

Christophe Couderc
Vice-président du Centre National de la Fonction Publique Territoriale



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