- Article publié le 20 novembre 2020
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CGT | Note de l’espace international - Amériques - Chili - Le référendum du 25 octobre 2020 et ses suites
Le 25 octobre dernier s’est déroulé au Chili un référendum historique, validant par une approbation populaire massive la convocation d’une Assemblée constituante chargée de réécrire une constitution en phase avec les aspirations qui s’expriment dans la rue depuis plus d’un an déjà. Plus de quarante ans après la mise en place d’une Constitution instaurée durant la dictature de Pinochet, ce vote entérine une nouvelle étape dans le cycle de luttes qui secoue le Chili depuis plus d’un an.
L’héritage de Pinochet
En mars 1980, Pinochet décide d’organiser un référendum « populaire » pour une nouvelle constitution au Chili. Le scrutin, entaché de multiples fraudes, est remporté par la dictature. La clé de voute de cette constitution est le poids des militaires dans la vie quotidienne et l’ancrage d’un système économique néolibéral dans un texte fondamental. Dans le même temps, cette constitution est liberticide s’agissant des droits individuels et collectifs des travailleurs et du peuple chiliens.
C’est pourquoi, pendant de très nombreuses années, le Chili a été considéré comme le « laboratoire du néolibéralisme ». La constitution institue la privatisation de tous les biens, services et activités économiques. Des « codes » sont mis en place dès 1981, sur l’eau, l’extraction minière, l’agriculture. Aujourd’hui encore, la privatisation de l’eau continue de générer de grandes inégalités entre les régions, voire des pénuries à certaines périodes de l’année. Le lithium – dont le Chili est le 2ème exportateur mondial – est resté longtemps entre les mains des militaires, pour passer ensuite entre celles de firmes multinationales. Quant à l’agriculture, Pinochet a mis un coup d’arrêt à la redistribution des terres engagée par Salvador Allende, permettant ainsi la recomposition de gigantesques fermes entre les mains de grandes fortunes, chiliennes alors, étrangères aujourd’hui.
La constitution a été retoquée à maintes reprises depuis 2005, mais son caractère néolibéral n’a jamais pu être remis en cause. Au-delà de la chambre des députés et du sénat, le Chili compte quasiment une « troisième chambre », à savoir la Cour constitutionnelle, dont les membres sont désignés – à vie – par le président, et qui demeure majoritairement à droite. Michelle Bachelet n’est parvenue qu’à introduire des changements à la marge, sans pour autant pouvoir remettre en cause ses fondements.
La santé et l’enseignement supérieur sont privatisés. Le système de retraites demeure un système individuel, par capitalisation, sans participation de l’état, entre les mains de quelques grands fonds de pension.
Le renouvellement constitutionnel comme emblème de la contestation
La contestation sociale, bien que puisant sa source dans ces décennies de dégradation constante des conditions de vies d’une majorité de la population, explose avec l’augmentation des prix des transports publics à Santiago en octobre 2019. Des manifestations éclatent, d’abord à Santiago, puis se répandent sur l’ensemble du territoire. Un an plus tard, on dénombre près de 100 morts, plus de 5000 arrestations, près de 15000 blessés, dont certains avec des séquelles à vie (perte d’un membre, d’un oeil).
Dès le début des protestations, les mots d’ordre sont clairs : les Chiliens veulent une nouvelle constitution, qui respecte des exigences « simples » : la gratuité de l’enseignement supérieur, l’accès à la santé pour tous et le passage à une retraite d’état, par répartition. Pour tenter de calmer la situation, le gouvernement de Sebastian Piñera a acquiescé à la revendication de la rue, et a déclaré la tenue d’un référendum fin avril 2020.
La pandémie du Covid-19 va néanmoins conduire le gouvernement a reporté le scrutin à l’automne. Les tensions sociales ne se sont pas pour autant apaisées tout au long de ces mois, dans l’un des pays du continent les plus durement frappés par l’épidémie, tant d’un point de vue sanitaire, avec un nombre de décès par habitants parmi les plus élevés de la planète et des hôpitaux débordés par l’afflux de patients, qu’économique. Le dernier rapport de la Banque centrale du Chili indique que l’activité économique pour l’année 2020 devrait enregistrer une baisse de 6 à 7% par rapport à l’année dernière.
Le nombre d’emplois détruit sous l’effet du choc économique et des politiques patronales est quant à lui estimé à 1,8 million, un chiffre terrible pour un pays de 18,7 millions d’habitants et qui sortait déjà d’une fin d’année 2019 marquée par la récession économique.
Un plébiscite qui marque l’histoire chilienne
C’est dans cette atmosphère étouffante qu’a eu lieu le scrutin référendaire, qui a rassemblé plus de 7,5 millions d’électeurs (50,9% de la liste électorale), soit le taux de participation le plus élevé depuis le début du vote volontaire au Chili. L’approbation du changement de constitution l’a emporté, sur le score sans appel de 78,27% des voix, déjouant nombre de sondages et d’analyses, qui anticipaient un score plus serré et pariaient sur les divisions au sein du mouvement initié en 2019.
Le deuxième enjeu du référendum était les modalités d’élections des constituants à qui la tâche d’élaborer la nouvelle constitution serait confiée. Deux options étaient sur la table : une convention mixte, composée à 50% de parlementaires (députés et sénateurs) et 50% de citoyens élus au suffrage universel ; une convention « constituante », composée exclusivement de citoyens élus au suffrage universel. C’est l’option uniquement citoyenne qui l’emporte avec une victoire tout aussi écrasante de 78,99% des voix, gravant dans le marbre la grave crise de légitimité qui traverse la classe politique du pays.
Ce scrutin est aussi caractérisé par une forte dimension de classe dans les votes exprimés. Le rejet du processus constituant l’a emporté dans seulement trois communes, les trois plus riches du pays. A l’inverse, c’est dans les quartiers les plus pauvres de la métropole de Santiago que les résultats les plus élevés ont été observés, frôlant les 90% d’électeurs en faveur du changement constitutionnel.
Une autre avancée notable, directement attribuable au rôle central des organisations féministes durant le mouvement de 2019, est l’obligation de parité entre femmes et hommes qui sera la norme pour l’élection des constituants.
Le gouvernement impose par ailleurs que tous les citoyens élus pour participer à la convention se défassent de la totalité de leurs mandats électifs et charges officielles. Dans le cas des organisations syndicales, cela signifie que Barbara Figueroa, actuelle présidente de la CUT et secrétaire générale adjointe de la CSA, devrait quitter ses fonctions.
Et maintenant, quelles perspectives syndicales ?
Les suites les plus immédiates se rythment autour de deux dates. Le délai de présentation des candidatures à l’Assemblée constituante expire le 11 janvier 2021 – dans un peu plus de deux mois. Le 11 avril prochain, des élections auront lieu pour choisir les 155 constituants, parmi les 27 districts qui découpent politiquement le pays. Ce nombre pourrait changer si le Congrès approuve un règlement qui accorde des sièges spécifiques aux représentants des peuples autochtones.
Cette période s’annonce mouvementée entre d’une part, la constitution des listes, où les risques de divisions autour des candidatures « indépendantes » sont plus nombreux. Et d’autre part, la capacité des différentes composantes du mouvement social, en pleine crise sanitaire et économique, à imposer leurs revendications et leurs candidats tant au cours de ce processus qu’au-delà.
A cet égard les orientations du mouvement syndical, et plus particulièrement de la CUT chilienne, principale organisation du pays, sont très claires. Communiquant sur la victoire de l’approbation, nos camarades écrivent :
« Par conséquent, en tant que Central Unitaria de Trabajadores, nous assumons le défi de la Constituante et pas seulement dans la perspective d’un vote. À nos yeux, les portes sont aujourd’hui grandes ouvertes au débat sur le Chili équitable, inclusif et digne que nous voulons construire. C’est précisément la voix des exploités, des maltraités, des exclus, qui s’est faite entendre aujourd’hui. Il nous est demandé, à maintes reprises, d’être généreux et patients face à des changements qui ne viennent jamais et qui n’ont fait qu’aggraver les inégalités de revenus et de traitement. Nous savons que le processus constituant sera un processus contesté, car ceux qui ont historiquement bénéficié de privilèges ne voudront pas y renoncer si facilement, mais avec un peuple actif et vigilant, mobilisé et participant, il n’y aura que peu d’espace pour ceux qui veulent choisir notre destin à notre place.
Nous devons être attentifs à chacun des jalons qui seront posés à partir de maintenant, en apportant nos revendications et en luttant pour que dans une nouvelle Constitution, la valeur du travail soit au centre de la société ; c’est la seule façon pour que le Chili puisse réellement redevenir un grand pays, un pays pour tous et où personne, par le fait de créer du travail, ne peut se donner le droit de nous humilier en tant que travailleurs. ».
Un état d’esprit qui s’est donné à voir dans une conférence récente de la CUT1, remettant au gout du jour les propositions de Salvador Allende pour le référendum constitutionnel, dont l’approbation électorale devait se dérouler le mois même de son assassinat. On y parlait alors d’extension de la gratuité et des droits sociaux, du rôle central du travail dans la société et des capacités d’intervention réelle des travailleurs organisés dans les décisions politiques, autant d’élément d’actualité que la CUT entend porter haut et fort au cours des prochains mois.
Dans un cadre plus régional, le Chili est aujourd’hui porteuse d’espoirs pour l’ensemble de l’Amérique latine. Les dernières années ont été désastreuses pour le camp progressiste, avec des virages très néolibéraux (Argentine, Uruguay), voire d’extrême-droite (Brésil). Aujourd’hui, l’Argentine a repris les rênes de son destin, le Pérou vient de mettre un terme quasiment instantané à une tentative de coup d’état législatif.
Les politiques de déstabilisation de ce continent sont largement réminiscentes de la période des années 1970 et du plan Condor concocté par Henry Kissinger, qui ne voulait certainement pas que Cuba puisse faire des émules parmi leurs voisins. Aujourd’hui, cette déstabilisation est beaucoup plus insidieuse, elle passe davantage par les grandes firmes multinationales et les médias très majoritairement à droite.
La Confédération syndicale des Amériques (CSA), organisation régionale de la CSI, est aux premiers rangs de la lutte pour la reconquête des droits des travailleuses et des travailleurs. Elle vient d’ailleurs de mettre à jour la « Plateforme pour le développement des Amériques » (PLADA), pour prendre en compte la dernière période, car la pandémie a révélé de manière encore plus criante les inégalités sur le continent.
Documents joints
1 resultats_du_referendum_du_25_octobre_2020_et_ses_suites pdf