- Article publié le 25 septembre 2020
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FDSP-CGT Collectif Formation professionnelle - Note aux syndicats : La loi du 5 septembre 2018 « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » : Premier bilan
Un certain nombre de données et d’informations parues dans la presse permettent de tirer quelques leçons et de confirmer certaines hypothèses que nous avions formulées précédemment. Ces informations, qui concernent essentiellement le secteur privé, sont importantes pour notre fédération, car elles préfigurent probablement ce que l’ordonnance sur la formation dans la Fonction publique, attendue pour le mois de novembre, va s’efforcer d’imposer aux fonctionnaires.
Un changement de la conception même de la formation
Cette loi a lié ensemble des mesures concernant la formation professionnelle, l’apprentissage et le chômage, car l’apprentissage devient une modalité de formation professionnelle, et non plus de formation initiale sous tutelle de l’Éducation nationale, et la formation professionnelle est elle-même pleinement adossée à la politique publique d’emploi.
Elle a mis fin aux deux principaux points positifs de la loi Delors de 1971 : le principe d’un droit à la formation sur le temps de travail et la garantie de sa gratuité. En revanche, son aspect le plus problématique, la mainmise des employeurs sur le droit à la formation, s’est encore trouvé renforcé.
Les droits à la formation sont profondément bouleversés. Il n’existe plus que trois formes d’accès à la formation :
1. A l’initiative de l’employeur, le cas échéant, dans le cadre d’un plan de développement des compétences ;
2. A l’initiative du salarié notamment par la mobilisation du compte personnel de formation prévu à l’article L. 6323-1 ;
3. Dans le cadre des contrats de professionnalisation (pratiquement réservés aux demandeurs d’emploi).
Toute action de formation obligatoire (et seulement celle-ci) donne lieu au maintien par l’entreprise de sa rémunération.
Le plan de développement des compétences vient remplacer le traditionnel plan de formation. Outre un changement de nom qui n’est pas anodin, ce plan n’est plus financé par la cotisation obligatoire à la formation professionnelle. Il ne fait peser aucune obligation pour les entreprises sur la forme, le choix et la quantité de formation dispensée. La seule motivation des entreprises à faire de la formation était auparavant la volonté de récupérer une partie de la taxe qu’elles versaient pour la formation professionnelle. Cette dernière ne leur étant plus disponible, les entreprises ne sont incitées à la formation professionnelle qu’à condition qu’elle découle de leur stratégie économique.
Le CIF a disparu. Et avec lui quasiment toute possibilité de formations longues et qualifiantes.
La cotisation à la formation professionnelle, autrefois gérée paritairement dans le cadre des OPCA, est désormais gérée par un établissement public, « France Compétences », sous tutelle du Ministère du travail avec un fléchage imposé vers le développement de l’apprentissage et la formation des demandeurs d’emploi.
Le Compte personnel de formation (CPF) devient l’unique moyen de formation à l’initiative des salariés.
Nous en concluions, dans un article du Guide de septembre 2019, à des changements de grande portée sur l’évolution des rapports de travail.
La première évolution est discursive, mais elle est néanmoins très importante. « Dans un monde en pleine mutation avec un marché du travail qui évolue extrêmement vite, chacun doit pouvoir choisir de se former, être acteur de sa vie professionnelle et non plus la subir. La compétence est la meilleure des protections » affirme, par exemple Muriel Pénicaud. Le marché du travail dicte sa loi, la formation est un choix individuel pour trouver sa place sur ce marché. Toute référence sociale ou politique disparait. L’État n’a plus de rôle à jouer dans la formation ni sur le marché du travail. Seule protection : la compétence, dont nous avons vu que, contrairement à la qualification, elle ne protège de rien du tout. Le marché du travail qui évolue extrêmement vite signifie que les compétences acquises ne le seront que pour quelques années, voire quelques mois, et qu’il faudra, constamment, chercher de nouvelles formations pour se « vendre ».
Autre évolution, logique, vous en conviendrez : puisque les besoins de formation augmentent, on casse l’obligation qu’avaient les employeurs de former leurs salariés. Pour la remplacer, on ouvre de maigres comptes individuels sur un marché lucratif en plein développement, celui de la formation. C’est la logique, toute provisoire, du « co-investissement ». La formation profite à la fois à l’entreprise et au travailleur, qui pourra (c’est risible, mais c’est réellement ce qu’ils disent) revendre cette formation sur le marché du travail. Il n’y a pas long à attendre pour qu’ils nous disent que ça ne profite qu’au travailleur, maitre de son destin sur le marché.
Un transfert financier de notre salaire socialisé
Le rapport d’activité 2019 de France Compétences fait apparaitre la répartition de son budget (qui était censé récupérer l’essentiel de la cotisation à la formation professionnelle).
La répartition est la suivante :
– Formation des demandeurs d’emploi : 1 532 millions d’euros.
– Financement des projets de transition professionnelle : 465 millions d’euros.
– Soutien au financement de l’apprentissage : 308 millions d’euros.
– Formation professionnelle pour les entreprises de moins de cinquante salariés : 128 millions d’euros.
– Conseil en évolution professionnelle (FONGECIF) : 50 millions d’euros.
– Financement du CPF : 32 millions d’euros.
– Financement du permis de conduire des apprentis : 14 millions d’euros.
En 2017, la collecte de la cotisation pour la formation professionnelle rapportait un peu plus de 7 milliards d’euros et la taxe apprentissage 3 milliards d’euros. Malheureusement, nous n’avons pas pu trouver d’informations sur la destination actuelle de ces fonds.
Deux notes de notre collectif de septembre 2019 et de juillet 2020 ont développé la grande transformation de l’apprentissage.
Depuis, de nouvelles statistiques sur l’apprentissage dans la FPT en 2019 sont sorties. Elles confirment et renforcent les tendances que nous avions mises à jour l’an dernier.
– 8,9% ont plus de 26 ans (contre 7,3, l’an passé).
– 56,3% ont 20 ans ou plus (contre 53, l’an passé).
Le niveau de diplôme de départ est encore plus significatif.
– La part des sans diplôme n’est que de 16,9% (contre 20,2 l’an passé).
– La part des non-bacheliers est de 36,2% (contre 41,5 l’an passé).
– 38,6% préparent un CAP ou BEP, donc pour une grande part un niveau de diplôme qu’ils ont déjà (contre 43,4 l’an passé).
– 44,7% préparent un bac +2 ou plus (contre 38% l’an dernier).
– 10,5% préparent un bac +5 (contre 8,2% l’an dernier).
– Enfin : 13,4% étaient salariés avant d’entrer en apprentissage (contre 12,5% l’an dernier).
Le nombre d’apprentis en France en 2019 était de 491 000, soit pour la première fois une croissance à deux chiffres.
Ces données sont à replacer dans leur cadre politique : le développement des emplois aidés et le rôle nouveau attribué à l’apprentissage. Avec Sarkozy et surtout Hollande, nous sommes passés d’une vision pédagogique de l’apprentissage à une vision quantitative. Emmanuel Macron ambitionne, lui, les 1 500 000 apprentis en France dans son programme présidentiel.
Pourtant, la mythologie d’une voie de sortie de l’échec scolaire pour les jeunes adolescents déscolarisés auquel l’apprentissage donnerait une chance réelle d’insertion perdure. Or, l’apprentissage ce n’est plus cela. Il faut répéter que les volontés politiques qui s’expriment pour développer les chiffres de l’apprentissage sont mues par la volonté de créer une main-d’oeuvre sous-payée, accédant de plus en plus tardivement à l’emploi stabilisé par un véritable contrat de travail de plein droit ; faire baisser les chiffres du chômage en stigmatisant de plus en plus de personnes pour leur prétendue in-employabilité ; détourner les statuts et conventions collectives en créant des filières « d’emplois aidés » se situant en dehors des règles, notamment des grilles de rémunération.
La réalité du compte personnel de formation
L’une des grandes mythologies portées au sujet du CPF était sa totale liberté d’utilisation. Or, sans l’accord de l’employeur, la formation ne peut avoir lieu qu’en dehors du temps de travail. Si la formation se déroule au moins partiellement sur le temps de travail, elle doit être organisée en accord avec l’employeur. De plus, toutes les formations ne sont pas éligibles : l’organisme de formation doit être agréé et la formation identifiée comme éligible sur le site consacré au CPF.
Enfin, la formation ne sera financée que si le budget qui est consacré à ces demandes le permet. Le CPF peine à décoller, il n’y a donc pas eu de problème budgétaire jusque-là (900 millions d’euros utilisés à peine aux deux tiers, en 2019), mais en cas d’afflux de demandes, gare à la sélection.
Seulement 1,14 million avaient téléchargé l’application web du CPF en avril 2020 sur 28 millions d’ayants droit potentiels. C’est dire si le CPF ne se substitue qu’à la marge au système de formation professionnelle que la loi a balayé.
Les statistiques 2019 dressent un premier tableau de l’utilisation du CPF. Le cout moyen d’une formation en 2018 était de 2 400 euros alors que les salariés en emploi ne disposaient sur leur CPF que de 1 040 euros en moyenne. Mais les utilisateurs ont engagé un montant moyen engagé de 1 190 euros, avec un reste à charge pour eux, hors compte CPF, de 490 euros.
Premier constat : on note une forte croissance des formations sans niveau spécifique visé (87,2%). Les demandes de formations se sont essentiellement regroupées sur trois domaines : certification en langues (38,8%), en informatique (12,2%), dans le domaine des transports, manutention, magasinage (11,7%). On voit, en outre, apparaitre un accaparement du CPF par les employeurs. Ainsi, en Alsace, des stages viennent au secours de salariés qui veulent prévenir ou guérir un burn-out.
Un rapport réalisé par BE Consultants pour la Fédération de la formation professionnelle (branche MEDEF des organismes de formation) en avril 2020, n’hésitait pas à pointer cette tentation : « Il serait utile d’avoir des éléments concernant le rôle joué par les entreprises dans le recours au CPF par les individus : en effet, les entreprises, confrontées à une diminution des prises en charge dont elles pouvaient bénéficier avant la réforme, ont pu « pousser » leurs salariés vers le dispositif CPF. La loi leur en donne d’ailleurs le droit à travers la possibilité de co-construire le CPF avec leurs salariés via des abondements, un accord d’entreprise ou de branche pouvant être conclu sur le sujet. A ce jour, aucune étude n’est encore sortie sur le sujet […], mais la crainte est forte pour certains acteurs de la formation permanente que le CPF ne soit détourné de son objectif initial pour permettre le financement de formations relevant en théorie du plan de développement des compétences. Il s’agit donc d’un véritable changement du marché de la formation : auparavant les achats de formation étaient réalisés par les pouvoirs publics, les entreprises ou le Fongecif. Désormais, c’est l’individu qui est l’acheteur à travers cette plateforme et qui supportera le cas échéant une partie des coûts et les risques liés aux annulations éventuelles. La formation via le CPF risque de devenir un bien de consommation comme un autre ».
Parmi les évolutions attendues, on peut noter ces quelques réflexions trouvées dans la presse : le marché, prédit par exemple un article du journal Le Monde, sera davantage sur les cours en ligne, le soir, le week-end. Quant à Jean-Marie Marx, haut-commissaire aux compétences et à l’inclusion dans l’emploi, il juge que les formations commandées par les opérateurs doivent être adaptées au marché. Enfin, un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances, sur l’équilibre financier du système de formation, prévoit déjà une réduction des financements. « L’accès à la formation professionnelle via le CPF, écrivent-ils, s’apparente potentiellement à une régulation par le seul marché dont l’équilibre prix-volume en résultant est supposé correspondre à un optimum social qu’une régulation publique ne pourrait que dégrader ». En conséquence de quoi, ils suggèrent d’instaurer un mécanisme de ticket modérateur en plafonnant la quote-part de la formation financée via le CPF, ce qui aurait pour conséquence mécanique de contraindre les bénéficiaires à trouver un co-financement ou financer eux-mêmes le reste à charge, de plafonner le montant pris en charge, d’abaisser le montant du crédit chargé annuellement sur le budget CPF.
La fin des plans de formation et du congé individuel de formation
Mais le point le plus important de la réforme est sans doute celui sur lequel pèse un silence (médiatique) de plomb : les plans de formation des entreprises de plus de 50 salariés ne sont plus financés. Aucune contrainte ne pèse sur les entreprises pour qu’elles établissent leur plan de développement des compétences censé remplacer le plan de formation.
Et la disparition du CIF va supprimer pratiquement l’accès à la formation longue, c’est-à-dire à la formation qualifiante. Rappelons que, en 2015, 14 % de la population âgée de 30 à 69 ans a décroché son plus haut diplôme par le biais de la formation continue. Plus des trois quarts des diplômes délivrés, dans le cadre du CIF, relèvent des diplômes de l’enseignement supérieur (BTS, diplômes nationaux ou diplômes d’établissement délivrés par les universités, le CNAM et leurs composantes). Le système de formation continue, d’avant cette loi, avec, en particulier, le congé individuel de formation dont les organismes paritaires ont pu financer des centaines de demandes, remplacement salarial compris, a donc joué un rôle non négligeable sur la qualification, grâce notamment à la possibilité d’accéder à des formations longues de type universitaire (8 ou 9 mois). Il a permis, à certaines et certains, de continuer une formation générale trop vite interrompue, notamment pour pouvoir gagner sa vie, voire de corriger les injustices sociales du système scolaire.
C’est bien cette, pourtant modeste, « école de la seconde chance » que représentait la formation professionnelle continue qui a été dévastée par cette loi.
Conclusion
On pouvait s’étonner de voir cette loi épargner un temps la Fonction publique. L’agenda gouvernemental, cependant, ne doit rien au hasard. L’objectif tactique du gouvernement est d’associer les élus à cette profonde transformation du rapport salarial : le passage de la qualification à la compétence, le passage de la responsabilité des employeurs à l’employabilité portée par les seuls salariés. Le transfert d’une bonne partie de la cotisation obligatoire au CNFPT sur le financement de l’apprentissage s’est fait, malgré quelques protestations de rigueur, avec l’accord tacite des élus territoriaux. Il en avait été de même avec la baisse de cette cotisation à 0,9% de la masse salariale contre 1% auparavant.
Il convient donc d’éclairer les agents sur les conséquences prévisibles de l’ordonnance sur la formation prévue par l’article 59 de la loi de transformation de la Fonction publique. Nul doute qu’elle impactera la conception de la formation, les missions du CNFPT et ses financements, pour aller toujours dans le même sens : un retrait de l’État social, une libéralisation de tous les marchés et une transformation du rapport salarial vers une insécurité toujours plus poussée.
Jean-Jacques PAVELEK
Le 2 septembre 2020
Documents joints
1 20200902_note_aux_syndicats_bilan_loi_avenir_professionnel pdf